« Narcose » de choc au Tarmac
Narcose est un spectacle de danse qui raconte une histoire de pression et contre-pression, de déflagration et d’ondes de choc – un pas de trois qui éclate et perd la tête, comme le monde semble perdre pied. Narcose investit le lien entre l’intime et le politique. Narcose semble vouloir nous réveiller, nous secouer pour nous dire qu’il faut désormais regarder les choses en face.
Aïcha M’Barek et Hafiz Dhaou sont le couple emblématique de la révolution chorégraphique tunisienne. Du pur jasmin dansé, sous un orage permanent. Leur premier duo, Zenzena (le cachot), créé avant la révolution, était reflet de la pression sociétale dans la Tunisie de Ben Ali. En 2015 ils ont fait de la révolution tunisienne le sujet même d’une pièce très engagée, Sacré Printemps!
Et maintenant, Narcose où les enjeux sont aussi importants qu’ils l’ont toujours été dans les créations de Hafiz Dhaou et Aïcha M’Barek. Narcose pointe la perte de réel, l’indifférence croissante vis-à-vis de la souffrance des autres, le dérèglement des comportements individuels. Sans être un manifeste politique, Narcose creuse l’endroit où se rejoignent la vie intime et la transformation du monde.
Happé et stupéfait
Pression sur le sternum, personnages qui perdent l’emprise sur leurs émotions et leurs actes. Tourbillon de violence sourdine exercée sur les corps. Il est rarissime d’être à ce point happé, de vivre une telle stupeur, en voyant des danseurs entrer en scène. Ici ils se courbent comme des matières semi-liquides sur lesquelles s’exercerait une pression déformatrice.
Aussi contraints soient-ils, ces corps revendiquent la fête! Dans l’espoir de retrouver la liberté, on bouge à tout jeter dehors, par une danse flirtant avec l’électro. Aux flexions surréelles et à l’élasticité contrainte du buste s’ajoutent des sauts décalés et des éclairs cinétiques secouant les bras. Mais l’énergie débordante rencontre une résistance presque répressive. Forcément, cette cocotte-minute doit exploser.
Apnée et vertiges
Sous les pieds du trio, le sol se dissout dans le scintillement d’un stroboscope tamisé. Et ce n’est pas le dernier effet d’illusion dans Narcose. L’ambiance bascule, le trio semble plonger en apnée, dans une accélération soudaine et vertigineuse. Désir et violence s’exercent directement de personne à personne, comme dans un accélérateur à fantasmes.
Le monde ne tourne pas rond, mais il tourne à grande vitesse: Séduction, gifles, fête, violences conjugales, mariage, paillettes et coups de feu. Jusqu’à ce qu’on aperçoive un couple couvert de poussière, comme s’il sortait des décombres de sa maison, dans une rue d’Aleppo, après un bombardement.
Chatha, la compagnie de Dhaou et Aïcha M’Barek, continue d’interpeller son public avec une écriture forte et bouleversante, en prise directe avec l’état du monde. Narcose, spectacle créé en début d’année à Bonlieu, scène nationale d’Annecy, ne changera pas le monde, mais peut produire un choc salutaire. De quoi donner des vertiges à plus d’un.
Thomas Hahn
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